Perdant ma tête, trouvant mon cœur – Francis répond – 77

Francis Lucille

Sujet : Atmabodha

Cher Francis,

J’ai lu votre interprétation de l’Atmabodha au cours de ces 2 dernières semaines et quelques questions ont surgi. (Très bonne interprétation, du reste !)

Les deux questions ont essentiellement rapport aux déclarations ou constatations suivantes :

<<67. Quand Atman, le soleil de la compréhension, se lève dans l’espace du cœur, il dissipe les ténèbres ; imprègne tout et soutient tout, il brille, et tout est lumière.>>

  1. Ci-dessus, vous avez employé l’expression ‘le soleil de la compréhension’ (en anglais ‘the sun of understanding’) plutôt que, disons, ‘le soleil de tous les êtres’ ou une autre expression équivalente. Peut-être était-ce délibéré, je ne suis pas sûr? Pour moi, le terme ‘compréhension’ a une connotation reliée au ‘mental’ et à ‘l’intellect’, etc. Déconstruisant un peu le mot anglais cela donne ‘se tenir’ et ‘dessous’ ce qui impliquerait que ‘understanding’ se tient sous quelque chose qui est plus directe, pour ainsi dire. Dans ce contexte, j’interpréterais le mot compréhension (en anglais understanding) comme ceci ‘se tient sous le non conceptuel directe Apperception pour ainsi dire - où Apperception est apparenté à un perçu mais dans l’autre direction’. Le langage, étant duel, pose toujours un problème dans un contexte non duel, mais peut-être comprenez-vous mon égarement. Quoi qu’il en soit, ma question est : avez-vous employé le terme compréhension (en anglais ‘understanding’) délibérément et si oui pourquoi?

  2. Il me semble que le sentiment de séparation a 2 aspects essentiels :

    1. Cognitif - de l’esprit ou l’intellect

    2. Le sens de la ‘sensation’ plus profond - moins apparent et du ou dans le cœur

Maintenant une investigation et une analyse plus approfondie peut relativement aisément déconstruire la notion ou l’idée d’être une personne, par exemple il peut y avoir une identification claire que le ‘soi’ ne réfère pas à un corps ou à un esprit ou à quoi que ce soit d’objectif. De plus, en conséquence il peut être clairement ‘perçu’ (mot populaire ces jours dans certains cercles !) que ce que nous sommes est toujours présent, hors du temps, conscience, etc. Maintenant tout ceci est bien et parfait, bien sûr, mais de supposer (comme beaucoup semblent le faire) que cette réalisation valable et significative constitue la Réalisation du Soi dans son sens véritable ne me semble pas exact.

Ce qu’il manque, me semble-t-il, c’est cet aspect plus profond. Et la raison pour laquelle cet aspect plus profond manque c’est simplement parce qu’il n’est pas apparent ; c’est enterré profondément pourrions-nous dire. Et ce manque d’apparence de l’aspect plus profond est particulièrement le cas lorsque la phase « Wow ! » de la « réalisation cognitive » moins profonde, pour l’appeler ainsi, s’établit centralement avec son euphorie particulière. Maintenant, en bonne règle, les choses s’établissant, devrait-il y avoir plus d’atma-vichara (investigation du soi) et une saine dose de clairvoyance honnête (peut-être !), l’investigation peut peut-être commencer à révéler cet aspect plus profond du sens du moi séparé caché dans le coeur, pour le dire ainsi. En fait, je voudrais dire que c’est le cas ! Et ceci semble être confirmé par Ramana qui indique clairement que l’investigation a sa résolution et sa conclusion dans le coeur. (Dissolution du ‘noeud’ depuis ou dans le coeur.) Douglas Harding, de sa propre manière, suggère ceci également. Pour paraphraser, le ‘voir’ gravite au centre du coeur. Douglas Harding assimile l’illumination (la réalisation du Soi) avec ‘J’ai trouvé mon coeur’ dans sa version ‘8x8-fold plebian map’. (Il défini le premier stage immédiat Kensho ou ‘Je vois mon (sans) visage original’ comme ‘J’ai perdu ma tête, mais j’ai encore à trouver mon coeur’ - ce qui signifie la réalisation cognitive moins profonde, me semble-t-il.)

Ainsi, en bref, nous pouvons dire concernant l’aspect le plus profond que le jiva-soi est remplacé par (ou peut-être étendu à) le Brahman-Soi. Et cet éveil se passe dans la ‘grotte du cœur’ comme diraient les Upanishads, car c’est ici que l’aspect le plus profond (obscurcissant) du sens d’un moi séparé réside. Ainsi, alors que le ‘soleil’ d’un soi-Brahman se lève, le sens d’un soi séparé se dissipe et se dissout. Atmabodha confirme également ceci comme nous pouvons le voir dans la ‘déclaration’ ci-dessus qui affirme, « Quand Atman ….. se lève dans l’espace du coeur, il disperse les ténèbres …. etc. ».

Maintenant (finalement !) ma question est, seriez-vous d’accord avec cette distinction entre les 2 aspects du sens du soi séparé? L’aspect le plus superficiel étant essentiellement cognitif (de l’esprit) et le plus profond étant un ‘ressenti’ plus profond ayant ses racines dans le coeur. (Tout ceci est dit dans un sens expérimental empirique, soit dit en passant.)

De plus, s’il vous plaît sentez-vous libre de commenter ce qui précède comme vous le voyez, si vous le désirez.

Bien amicalement,

Alan

Cher Alan,

Vous avez posé deux questions :

  1. Avez-vous utilisé le terme ‘compréhension’ délibérément et si oui, pourquoi?

La réponse est oui. Ce qui ‘stands under’ (littéralement, repose dessous en français) est la fondation, la substance, (du Latin : sub = under + Stans = standing). Nous pourrions utiliser les mots intelligence, ou conscience, ou substance, ou présence, ou être, tous pointant vers la même réalité. Le mot ‘understanding’ a été choisi peut-être pour défier notre perspective habituelle, une perspective pour qui la compréhension a moins de réalité que les pensées, les pensées ont moins de réalité que les sentiments, et les sentiments moins de réalité que les objets physiques perçus à travers les sens. Habituellement nous ne voyons pas la compréhension ou la conscience comme étant l’ultime réalité du monde, du corps et de l’esprit. L’éveil est la reconnaissance de l’éternité, l’omniprésence et la réalité de la conscience. Cette reconnaissance pourrait être redéfinie comme la compréhension de la compréhension.

Ce serait une erreur gigantesque que d’assumer que cette compréhension est « intellectuelle », c’est-à-dire « prendrait place dans l’esprit humain ». Un autre mot pour compréhension serait peut-être « connaître ». Nous comprenons une pensée, un sentiment ou une perception sensorielle, nous la connaissons complètement alors qu’elle se dissout dans sa substance. La compréhension, d’une pensée est intelligence, d’un sentiment, amour, et d’une perception sensorielle, beauté. La compréhension est largement mal interprétée :-) et, comme résultat, sous-évaluée dans les cercles spirituels. Nous devons voir que, non seulement l’intelligence, mais également l’amour et la beauté sont différents aspects de la compréhension. Ceci nous amène à la deuxième question :

  1. Etes-vous d’accord avec cette distinction entre les 2 aspects du sens du soi séparé, l’aspect le plus superficiel étant essentiellement cognitif (de l’esprit) et l’aspect le plus profond étant un ‘ressenti’ plus profond ayant ses racines dans le cœur?

Oui et non.

Oui, il y a ces deux aspects. Le premier est compris dans les systèmes de croyances qui prennent racine dans la croyance que nous sommes une conscience séparée, le second dans les systèmes de sentiments au niveau somatique qui conspirent à créer l’impression d’une conscience incarnée.

Non, le second n’est pas plus profond (si profond signifie plus fondamental) que le premier. Ils sont les deux d’égale importance puisqu’ils s’associent jusqu’au degré auquel « la compréhension de la compréhension » imprègne respectivement le royaume des pensées et le royaume des sensations corporelles. Aucune stabilisation dans la paix de notre vraie nature ne peut être accomplie sans la dissolution de tous ou presque tous les résidus de l’ignorance. Un aperçu complet de notre vraie nature à un impact important sur les deux niveaux, et met en route le processus de réalisation de soi qui conduit à la stabilisation dans notre état naturel de liberté. Un aperçu incomplet nous libère d’un système spécifique de croyance ou d’un système spécifique de sentiments, mais qui ne parvient pas à éliminer le noeud central de la séparation. Pour utiliser la métaphore du serpent et de la ficelle, un aperçu partiel serait de voir qu’il n’y a pas de serpent, mais la réalité sous-jacente (la ficelle) n’a pas été assurée ; un aperçu complet est la reconnaissance de la ficelle. Un tel aperçu (nirvikalpa samadhi) sera suivi de la stabilisation progressive dans l’état naturel de liberté (sahaja samadhi), alors que le corps esprit se réaligne avec la nouvelle direction qui a été révélée dans cette aperception.

Je soulève ce point car un aperçu partiel, étant toujours teinté d’objectivité, peut légitimement être qualifié d’ « intellectuel » ou de « ressenti ». Un tel aperçu ne peut être qualifié d’ « absolu ». Trop souvent les aperçus partiels de l’une ou l’autre sorte sont mal interprétés par les chercheurs de vérité comme étant le satori, ou l’éveil, or le nirvikalpa samadhi, tous des termes synonymes. Le résultat étant un abandon prématuré de la quête. Le chercheur semble formuler clairement sa compréhension de la vérité (pour autant que les impressions fines ne sont pas contrôlées), mais le parfum, le pouvoir essentiel derrière le mantra, manque, et trop souvent le prédicateur qui prêche ainsi le dharma ne fait pas le karma. Une telle réalisation, peu importe combien valable elle peut être, ne constitue pas la réalisation du Soi ou même l’éveil dans son sens propre. Il y a cependant une réalisation parallèle, manquant également de profondeur, dans laquelle il y a une reddition au niveau des sentiments, au niveau du coeur, mais l’attachement intellectuel au concept d’une conscience séparée demeure. Ce second type de chercheurs « à moitié cuits » est principalement trouvé parmi ceux sur le chemin de la dévotion.

Dans l’aperçu complet de notre vrai Soi, la perte de notre identité intellectuelle et de notre identité ressentie sont simultanées. Les deux sont le résultat de la révélation de notre identité véritable, et plus que certainement le cœur en fait partie. Plus abruptement : toute réalisation qui n’est pas la révélation de notre immortalité, de notre liberté absolue, et de l’expérience du bonheur absolu, de l’amour absolu et de la beauté absolue, n’est pas l’expérience de laquelle et depuis laquelle le Buddha, Ramana Maharshi, Ma Ananda Mai, Jean Klein et beaucoup d’autres sages parlent. Il n’y a pas d’illumination au rabais, partielle, de seconde classe. Elle est absolue ou elle n’est pas.

Comme vous pouvez le voir, ma réponse ne contredit pas les déclarations que vous avez faites et je comprends les soucis de superficialité et d’intellectualisme implicites à votre question.

Bien amicalement,

Francis

Traduit de l’anglais par Evelyne Pernet

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